La tempête qui tue (The Mortal Storm) - 1940 - Frank Borzage
Publié le 6 Juillet 2012
janvier 1933, dans les Alpes allemandes. Le professeur Victor Roth (Frank Morgan) est acclamé par ses élèves et ses collègues alors qu’il fête ses soixante ans à l'université de la petite ville allemande où il exerce. La soirée en famille est troublée par l’annonce à la radio de la nomination d'Adolf Hitler comme Chancelier. Le professeur et son épouse sont accablés par la nouvelle et désespérés de voir leur famille jusqu'ici unie se scinder en deux. Erich, Otto et Fritz Marberg (Robert Young), le fiancé de leur fille Freya (Margaret Sullavan) sortent en effet fêter l'évènement en se rendant à une réunion politique tandis que Martin Breitner (James Stewart), le plus proche ami de la famille, reste sourd aux exhortations de ses camarades et demeure aux côtés du professeur et de sa femme, abattus, et de Freya qu'il a toujours aimée en silence. Très vite, la montée du fascisme va briser les amitiés, Freya rompt avec Fritz ; le cours du professeur Roth est boycotté ; Otto et Erich quittent le domicile familial. Martin aide M. Werner à passer la frontière autrichienne à ski, avant de se réfugier chez son oncle à Innsbruck. Arrêté parce qu'il maintient ses théories sur l'égalité du sang, le professeur Roth est envoyé en camp de concentration.
The Mortal Storm est un film admirable,l'un des plus lucide et les plus réaliste dans un contexte historique immédiat. On y voit un autodafé de livres et la première représentation cinématographique d'un camp de concentration.
Nous sommes en 1940.
Cinéaste trop méconnu à qui on doit également le magnifique "Trois Camarades" , Frank Borzage nous offre ici la vision lucide et terrible d'une population basculant dans le fascisme. Mais, comme il est d'usage dans son cinéma, ce fond social, politique et historique est porté par cette forme mélodramatique et lyrique qu'il n'a cessé de travailler depuis ses chefs-d'œuvres du muet. Comme toujours chez Borzage, la grande histoire est vécue à hauteur d'homme, vécue à travers une histoire d'amour aussi belle que tragique.
Frank Borzage est un cinéaste qui, s'il a dénoncé les horreurs de la guerre et décrit les conditions misérables de la classe populaire, n'en reste pas moins assez apolitique. C'est pourtant lui, le chantre de l'amour fou, qui réalise avec The Mortal Storm l'un des premiers films à dénoncer le nazisme et à évoquer les exactions commises contre le peuple juif et ceux qui, en Allemagne, essayent de lutter contre la barbarie. La France et le Royaume Uni sont entrés en guerre mais Hollywood, qui fait sienne la position isolationniste des Etats-Unis, demeure toujours réticente à parler de ce qui se déroule en Europe et à condamner ouvertement les agissements du gouvernement allemand. Les grands studios ont tendance à penser que le public des salles attend de leur part du pur divertissement et non des œuvres qui parleraient de la marche du monde, aussi ils rechignent à produire des films trop politiques ou engagés. La position isolationniste du Congrès sied donc parfaitement à Hollywood mais l'afflux d'artistes fuyant le nazisme vient changer la donne. Des comités antinazis se forment (la "Hollywood Anti-Nazi-League" pour l'industrie du cinéma) et le désir d'évoquer la politique allemande se fait de plus en plus pressant dans l'enceinte des studios.
On comprend que l'harmonie de la famille (et plus largement celle d'une société en paix) repose sur du sable. L'épouse du professeur Roth est issue de la bourgeoisie allemande, ce qui n'empêchait pas jusqu'ici ses deux fils issus d'un précédent mariage de considérer Freya comme leur sœur. Mais, tandis que la notion de pureté de la race gangrène le pays, leur différence d'origine remonte à la surface et les deux frères, se considérant comme de "purs aryens", ne voient plus de la même manière Freya qui est juive par son père. Borzage montre que la cohésion familiale, sociale, est quelque chose de fragile, un équilibre délicat que la moindre secousse peut mettre à mal.
Très vite, ceux qui vivaient en harmonie se jaugent, se jugent, s'affrontent et la petite société implose. Les chansons joyeuses entonnées qui résonnaient dans la ville cèdent la place à des hymnes patriotiques et guerriers, les amitiés se brisent, la maison familiale ouverte aux amis, si animée et vivante, se vide peu à peu et se transforme en un espace mort et froid qui est à l'image de la société allemande. A l'école, les élèves - à qui l'on a inculqué l'obéissance et la docilité - sont rapidement façonnés et deviennent de bons petits soldats de l'idéologie nazie. Le village se transforme en un tour de main, presque naturellement, les habitants ralliant la masse par ignorance, peur ou lâcheté.
Avec à ce film, MGM voit l'ensemble de sa production interdite de diffusion en Allemagne par décision du ministre de la Propagande Joseph Goebbels, interdiction qui s'étend très vite à l'ensemble des productions hollywoodiennes. En Europe, seule l'Angleterre sort le film et, même après-guerre, il ne sera distribué que parcimonieusement. L'heure est alors aux réjouissances et l'idée de replonger dans les origines du nazisme n'enchante guère les spectateurs. En France, c'est seulement en 1976 que le film est redécouvert grâce à Patrick Brion qui le programme dans le cadre de son Cinéma de Minuit.
Frank Borzage est parvenu à imposer sa marque et son style au studio, pour preuve ce Mortal Storm qu'il se réapproprie totalement. C'est pourtant son dernier grand film, le cinéaste se perdant à partir de 1940 dans des films de commande de plus en plus éloignés de ses préoccupations, de son univers.
The Mortal Storm (La tempête qui tue). Avec : Margaret Sullavan (Freya Roth), James Stewart (Martin Breitner), Robert Young (Fritz Marberg). 1h40.
A noter que c'est la quatrième et dernière fois que Margaret Sullavan et James Stewart se retrouvent ensemble à l'écran, et que c'est certainement leur plus beau duo, même s’ils brillent la même année - et dans un tout autre registre - dans The Shop Around the Corner d'Ernst Lubitsch.
A propos du jeu !
Suite à la participation peu nombreuse de la dernière fois, j'ai besoin de votre avis pour savoir quand je dois l'organiser.
Voici 4 solutions .
1: Premiers indices (difficiles): Mardi soir, et la suite mercredi à partir de 17h30.
2: Premiers indices (difficiles): Mercredi soir, et la suite jeudi à partir de 17h30.
3: Premiers indices (difficiles): Jeudi soir , et la suite vendredi à partir de 17h30.
4: Le week-end prochain .
Merci et bon week-end à vous .